1

Voir grand

Suite et fin du récit commencé avec le post ‘La feuille blanche et le M’Goun‘, suivi du post ‘Un pied devant l’autre‘ puis de ‘De quelques antidotes à l’ivresse des cimes

Face à moi alors que j’entame la descente côté sud, une mer de reliefs s’éloignant pour mourir en vagues décroissantes dans l’océan du désert. Difficile au début de se concentrer sur ses pas et l’itinéraire dans ces conditions. Puis la réalité de la montagne se rappelle à moi : comment contourner à moindre coût cette combe profonde ou ce névé ?, quel est le degré de stabilité de ce pierrier que je traverse en diagonale, alors que la pente s’accentue ? etc. Arrivé sur une grosse croupe indolente, je décide de m’arrêter, pour faire le point sur ce nouvel itinéraire maintenant entamé et tenter de distinguer dans le paysage un tracé, si possible d’aspect engageant. Phénomène de ‘descente’ après le ‘shoot’ intense du sommet, ou autre, je sens s’insinuer l’angoisse, envahissant mes membres et mon cerveau. Fini l’émerveillement du grand paysage, je perçois de plus en plus l’imposante lourdeur de mon environnement. Où que porte le regard, ce ne sont qu’énormes masses minérales, failles profondes, ruptures aiguës. Au loin, plus bas, beaucoup plus bas, aucune trace de piste ou de chemin. Au sud-est, à une journée de marche peut-être, une large vallée d’altitude semble me tendre les bras, avec ses belles étendues vertes sans doute pâturées par les troupeaux en estive. Mais à son extrémité distale je la vois se rétrécir et terminer dans une combe raide qui semble bien être le départ d’un torrent. Je sais d’expérience qu’il est illusoire et surtout très risqué d’emprunter le cours de ceux-ci. Aucune habitation évidemment, là ce n’est pas une surprise, il me faut redescendre bien plus bas que cet horizon pour trouver les premiers hameaux.

Je m’active, histoire d’envoyer balader ce moment de faiblesse (1). Je prends l’azimut de Ouarzazate, grâce au GPS, qui s’il ne dispose pas d’un fond de carte détaillé, me permet néanmoins de tracer la ligne droite entre ma situation actuelle et ma destination. Sûr que la ligne droite ne constituera pas le meilleur chemin, ici encore moins qu’ailleurs, mais il me faut bien une direction générale à laquelle me référer ensuite. Pour compléter, une observation systématique du paysage proche et moyenne distance dans un arc de 45° de part et d’autre de l’azimut. Qu’est-ce que cela donne ? Progressivement se construit dans ma tête un début d’itinéraire, qui paraît jouable dans la mesure limitée de mon champ de vision. Sans doute est-ce en grande partie illusoire car celui-ci se réduit au grand maximum à deux heures de marche mais cela me permettra de démarrer, n’ayant aucune intention de m’éterniser là-haut.

Ambition
où que porte le regard, ce ne sont qu’énormes masses minérales, failles profondes, ruptures aiguës

Faire confiance à la petite aiguille aimantée tremblotant dans son boîtier transparent et au type qui a pour l’instant les deux pieds dans mes chaussures n’est pas si difficile en fait, mais constitue néanmoins une expérience intéressante. Au départ, tout est possible : nulle direction ne s’impose à moi, aucun signal d’interdiction, aucune clôture, aucun guide. Voir grand. Être ambitieux. Le terme inquiète ? Effectivement, ambition et démesure sont les deux mamelles des pires fourvoiements humains. Mais j’use ici du terme, souvent péjoratif donc, dans une acception  secondaire, au sens du « désir d’accomplir, de réaliser une grande chose, en y engageant sa fierté, son honneur »(2). Fierté et honneur étant un peu trop narcissiquement connotés à mon goût, la définition des « grandes choses » étant plus que relative, le terme de « désir », simple à première vue, me paraissant nécessiter de futures explorations soutenues (3), j’userai donc du terme ‘ambition’ comme d’une « tension vers un accomplissement ».

Nulle mégalomanie dans l’expression « voir grand ». « Small is beautful , le rappel se vérifie depuis près de 50 ans. L’idée ici c’est de ne pas se recroqueviller, élargir son champ. Voir large alors ? Autant que faire se peut, éviter de s’auto-limiter. Partir de l’idée que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé plutôt que de se dire que tout ce qui n’est pas explicitement autorisé est interdit. Les obstacles que nous construisons nous-même sur notre chemin, les murailles que nous dressons autour de nous, le tout s’ajoutant aux limites considérables dérivées du contrat social (4), cela fait beaucoup. Face à ces impedimenta nous ne sommes pas tous égaux. Le milieu social de naissance, la génétique, l’éducation, les événements de l’existence, etc nous dotent plus ou moins. Mais le même élan peut nous pousser, quel que soit le point de départ.

Pas âme qui vive

J’ignore de quoi sera faite la fin de cette journée, encore moins celle de demain, mais je vais. Nul n’est là pour me dire où aller ou ne pas aller. Même le sentier, version très ‘soft’ il est vrai de la guidance, n’est pas là pour altérer cet état. Seules les sensations intenses, indescriptibles, qui s’imposent à l’errant dans ce paysage hors échelle arrivent à me distraire de cette détermination.

Après quelques pentes assez raides au début, mon parcours s’est quelque peu aplani. Afin de minimiser les montées, je circule autant que possible en suivant les courbes de niveau, avec bien sûr une tendance naturelle à la descente. Peu à peu la caillasse brute fait place à des étendues boueuses d’abord puis couvertes d’une végétation squelettique (5) qui donne à certaines étendues des allures de désert. Je m’attends d’ailleurs à croiser quelque tribu nomade, éleveurs de dromadaires, le tableau serait complet. Mais non, aucune trace, pas âme qui vive semble-t-il à des lieues à la ronde, sans doute suis-je trop en altitude encore.

minéralité

En fin de journée se lève un vent soutenu, de très fortes bourrasques aussi parfois, tandis que le ciel s’assombrit. Je commence à me faire du souci pour ma nuitée, d’autant que je traverse une étendue couverte de touffes épaisses d’herbe sèche qui semble sans fin et où nul abri naturel ne se présente. Peut-être en descendant quelque peu dans cette combe que je distingue à moins de deux kilomètres au jugé ? Forçant le pas car le vent devient vraiment pénible, j’arrive en nage à cette dépression qui se révèle en fait à peine moins exposée. Après quelques tours et détours j’y trouve néanmoins un ravin peu profond qui me permet d’espérer de moins subir les rafales. S’il est au sec en ce moment, il est visiblement parcouru de ravines qui doivent drainer les eaux pluviales. Pas trop le choix. Je plante la tente au point le plus élevé, entre les ravines, et m’acharne à creuser un fossé susceptible de dévier une coulée qui menacerait mon abri. On imagine le cirque qu’a pu représenter le montage de la tente par ce temps, sur un sol plus que caillouteux. La séquence repas fut donc rapide, la nuit ponctuée de courts réveils destinés à m’assurer de l’état de la toile et des tendeurs, mais au final moins mauvaise que prévu.

Pressé de quitter ce lieu qui m’avait si mal reçu, je démarre alors qu’il fait à peine jour. Le ciel est bas mais le vent tombe une fois entamée une nouvelle franche descente et il ne pleut pas. Voici les premières sources. Je comptais sur elles, mes deux bidons sont vides. L’eau sourd au ras du sol dans la végétation et circule en ruisselets qui semblent un temps désorientés avant de se regrouper un peu plus loin pour finir dans un ravin. Pas de troupeau, je prends le risque, d’autant qu’il va me falloir patienter encore le temps que les pastilles désinfectantes fassent effet.

L’antenne de l’Office de Tourisme reste introuvable
retour aux territoires d'estive

En fin de matinée je débouche au-dessus d’une large vallée d’altitude que je surplombe encore de deux ou trois cent mètres. J’y distingue les constructions typiques des bergers en estive et, d’ailleurs, quelques cris et bêlements faiblement perçus me confirment que, non, je ne suis pas le seul être humain restant au monde après une catastrophe nucléaire ou autre. Ayant pas mal dévié de mon azimut ce matin, je corrige en rejoignant la vallée beaucoup plus à l’ouest, loin des constructions que j’avais repérées. Très vite j’aperçois le départ d’un ravin, situé pile dans le bon axe, et que semble rejoindre une trace au sol, résultat de passages répétés des troupeaux et bergers. Progressant dans cette direction en traversant la vallée, je vois arriver à quelques centaines de mètre un troupeau de petites chèvres suivi par des enfants : une jeune adolescente et une gamine qui doit avoir six ou sept ans. Elles progressent lentement avec le troupeau en guidant celui-ci au moyen de cris brefs et surtout de cailloux adroitement lancés vers la récalcitrante qui ferait mine de trop s’écarter. Elles paraissent à la peine, le petit troupeau ressemble plus à un essaim virevoltant en tous sens qu’à un défilé du 14 juillet. Je fais quelques pas pour me situer à proximité de leur passage obligé. Les deux jeunes bergères semblent intriguées (on comprend aisément) mais pas trop inquiètes. Je veille néanmoins à me maintenir à distance d’elles. Ma question : ce ravin là que je songe à emprunter mène-t-il dans la bonne direction et, dans l’affirmative, est-il praticable ? Ou n’importe quelle information qui irait dans ce sens là en fait, je ne ferai pas trop le difficile vu que l’antenne locale de l’Office de Tourisme reste introuvable. Je ne me souviens plus comment se mène le dialogue mais j’obtiens la réponse (quelque chose de l’ordre de « oui, vas-y mon gars ») et sors de ma poche une belle barre aux fruits secs dont je m’étais promis de profiter avec gourmandise un peu plus tard. Les voilà reparties, deux gamines au milieu de nulle part, lorgnant la friandise avec des yeux brillants, s’entraînant probablement à raconter au retour comment elles ont croisé un être bizarre en route vers cette ville où sans doute elles ne sont jamais allées. Songeur devant ces deux petites personnes au milieu de l’immensité, j’essaye un moment de me figurer comment une enfance de ce type peut structurer une personne mais j’y renonce, trop éloigné de mon propre univers.

Une méfiance farouche

Me voici donc à cet endroit où le bord de la vallée s’affaissant en pente douce se parsème de rochers entre lesquels coule calmement un beau filet d’eau claire, entame sa descente en entaillant la falaise . Plutôt avenant mais je reste très méfiant néanmoins. Vais-je me fier à l’assertion de deux gamines issues d’une autre planète que la mienne et à un semblant de trace dans la végétation ou dois-je me rallier à ma crainte de ces entonnoirs longs de plusieurs kilomètres, pratiquant parfois des dénivelées impressionnantes, s’élargissant ou rétrécissant au gré des falaises qui l’encadrent ? Là où j’en suis rendu, toute recherche d’une hypothétique alternative me prendrait sans doute à tout le moins une journée de marche supplémentaire, sans garantie aucune quant au résultat. J’entreprends donc de suivre le ruisseau, conservant juste sous la surface une méfiance farouche.

Assez aisée au départ, la progression, comme je m’y attendais, devient rapidement pénible. Je persiste à suivre le cours du torrent, désescaladant de rocher en rocher, bien que je voie souvent la trace accrochée un peu plus haut sur la pente raide de l’une ou l’autre rive. Mais mes tentatives de suivre celle-ci s’étant soldées par une ou deux belles frayeurs, je lui préfère la stabilité des rochers du fond du ravin. Épuisé et simultanément fasciné par ce parcours inhabituel, j’arrive avec soulagement à un élargissement du ravin. Mais c’est pour constater qu’il s’agit d’un confluent, mon torrent en embarquant un autre au passage, dédoublant du coup le volume d’eau. Sans trop d’illusions j’explore la suite du lit mais là le diagnostic est clair : ça ne passe plus. J’envisage, les épaules basses, de rebrousser chemin. Pas de précipitation, on s’assied et on réfléchit. Depuis que je sillonne la montagne, mon œil s’est entraîné au repérage des traces et c’en est bien une, j’en suis sur, que je repère au loin sur la rive droite, bien au-dessus du ravin, là où un imposant amas d’éboulis à 45° garnit le pied de la falaise abrupte. L’impossibilité de cette voie m’apparaît de l’ordre de l’évidence mais il est tout aussi évident qu’elle se trouve là. Au bon endroit (encore faut-il l’atteindre!) , dans la bonne direction, quasi rectiligne, bref bien alléchante. Je pense à nos virées dans la montagne à laquelle est adossée le village, avec mon ami Azroun, comment il moque parfois ma lourdeur et ma maladresse alors que l’ancien petit chevrier gambade là-dedans comme doté de quatre pattes. Une impossibilité à mes yeux ne devrait donc pas être une impossibilité tout court. Si j’arrive à rejoindre cette trace, je devrais moi aussi, en trouvant une allure adéquate, aidé de mes bâtons, pouvoir suivre la sente aérienne des troupeaux et des bergers.

Il n’y a qu’à leur emboîter le pas …

Après moultes détours et passages raidissimes, j’atteins l’endroit repéré. L’estomac contracté, je laisse le regard suivre ce filet de trace devant moi. Attraction. Mais la pente sur laquelle il circule est bien raide et, quelques dizaines de mètres plus bas, c’est le ravin du torrent hérissé de roches qui attend le corps qui chute. Répulsion. Je construis devant moi l’image d’un gamin poussant devant lui une douzaine de chèvres … et je leur emboîte le pas. Cela fonctionne l’imagerie mentale ! (6).

une trace si légère

Lentement, le regard posé quelques mètres au-devant, je m’avance. Je suis dans le rythme, ça se passe plutôt bien. Cette trace s’est emparée de moi, je n’ai plus d’autre choix que de la suivre encore. Mais là elle remonte pour passer au pied de la falaise alors qu’il me semble plus simple de franchir la barre rocheuse, pas trop haute, qui se dresse devant moi. Illusion, derrière cette barre, le vide. Je repère au loin, à plusieurs kilomètres encore, une antenne de téléphonie. Soulagement. Puis je reprends : faire confiance à la trace, suivre le petit troupeau et le gamin. Combien de temps l’ai-je suivie cette trace?, je suis incapable d’en parler, tant j’étais concentré sur chacun de mes pas. Et voilà, enfin, les masses d’éboulis s’amenuisent, mon fil d’Ariane redescend dans le ravin dont la profondeur s’est bien réduite, alors que celui-ci s’est sensiblement élargi aussi et permet une progression de part et d’autre du torrent. Encore une petite heure de marche en suivant le flot et c’est le premier barrage (7). Rapidement je me débarbouille afin d’éviter de trop effrayer les paysans qui ne s’attendent certainement pas à voir un étranger arriver de la montagne. Apparaissent les premières terrasses, pas mal de beaux noyers (quel ombrage fantastique!) et là cette femme qui travaille la terre et n’a pas perçu mon arrivée. Faisant délibérément rouler sous mes pieds quelques cailloux pour me signaler je me rapproche jusqu’à ce qu’elle se redresse. Là, c’est clair, elle s’étonne mais ne semble pas vraiment effrayée. Gestes, mots, mimiques, tout y passe. Elle rigole, moi pareil. Alors, me faisant signe de la suivre, traversant plusieurs terrasse de culture où d’autres sont au travail, tous bien sûr commentant bruyamment mon passage, puis trois petites maisons de terre sèche appuyées les unes aux autres, elle me conduit au départ d’un sentier (un vrai celui-là, et non plus une trace fragile) qui emprunte la suite du ravin, maintenant devenu vallée, pile dans la direction de mon azimut.

Me voilà de retour, avec un plaisir qui me surprend un peu d’ailleurs, dans le monde des humains. J’achèverai ici le récit, même si le chemin jusqu’à Ouarzazate fut long encore, parsemé de quelques embûches mais aussi de belles rencontres, telle celle de l’instituteur solitaire. Les portes du M’Goun se refermaient derrière moi, et avec elles ce récit.

__________

(1) La faiblesse n’est ni une maladie ni une tare et je n’ai rien du surhomme mais lui laisser la place n’est pas toujours indiqué. Lorsque les circonstances le permettent, il est bon de se laisser aller. Ce qui me rappelle l’anecdote que voici. Après une de ces traversées intenses et riche en émotions d’ordres divers mais bien intenses, toujours dans la même région, j’atterris dans un gîte pour groupes équipé de vraies douches individuelles. Je suis seul dans cette salle, j’actionne la douche et l’eau coule froide, ainsi que je m’y attendais. J’entreprends néanmoins de me savonner mais après un bon moment voilà que l’eau se réchauffe ce qui ,au randonneur exténué n’ayant connu que les ablutions dans le torrent voire pas d’ablutions du tout, peut apparaître comme un vrai petit miracle. C’est alors que le corps qui avait enduré jusque là sans broncher se fend d’un hoquet de sanglot que je n’avais nullement vu venir, un seul, pendant que cette délicieuse eau tiède me ruisselle sur les épaules. Une douleur, un stress avait trouvé le moment de faiblesse pour s’exprimer.

(2) CNRTL

(3) J’aimerais y revenir dans un prochain article.

(4) Le contrat social c’est en quelque sorte le compromis entre l’individu et le(s) groupe(s) dans le(s)quel(s) il s’inscrit. Lorsque, comme aujourd’hui, l’autoritarisme prend le dessus, on peut supposer que l’un ou l’autre terme du contrat est mis à mal et que la partie avantagée souhaite prendre le contrôle de la partie lésée.

(5) Il me faut ici confesser et m’excuser de mon ignorance quasi totale en matière de botanique (exception faite, un minimum en tout cas, pour ce qui se mange).

(6) J’y ai quelques fois eu recours dans des situations difficiles à gérer, surtout face à la peur, avec des résultats intéressants.

(7) qui permet de stocker une masse d’eau et d’orienter celle-ci vers un ou plusieurs canaux irriguant les terrasses cultivées situées en aval




Happy birthday !

Il est tentant de nous imaginer capables de tisser de nos mains le fil de nos existences. Qu’il nous appartient, sur le chemin, de faire les « bons choix », une fois arrivés à l’un ou l’autre carrefour, voire de nous équiper de diplômes porteurs et réseaux relationnels ad hoc. Un cran plus loin, nous sommes maintenant incités à valoriser notre capital personnel (1), ou à élaborer notre plan de vie (2). Une forme d’arrogance qui sied bien à notre monde, celui qui fait preuve de grands talents une fois qu’il s’agit de réduire l’humain à l’un ou l’autre de ses pires travers. La mainmise également d’une certaine rationalité et des valeurs du discours dominant sur nos existences (3). Une mine d’or enfin pour coaches divers et thérapeutes du ‘développement personnel’.

Difficile d’échapper à ce modèle. Il est des expériences vécues néanmoins qui procèdent du ‘lâcher prise’ sur le lendemain. J’aimerais conter ici l’histoire du camion rouge … Mais avant d’en entreprendre le récit, je vous propose un rapide détour, aussi simplement que possible, sans théoriser aucunement, par quelques considérations relatives à l’expérience et au récit. Que le lecteur pourra ‘sauter’ sans dommage s’il le souhaite.

Illustration Wikipedia

La seule expérience de première main à laquelle j’ai accès ne peut être que la mienne. Truisme sans doute mais constat déterminant (4). Le récit à la première personne peut néanmoins, il me semble, s’écrire de deux manières radicalement différentes. J’essaye dans ces pages d’éviter la première, la mise en scène, où je le considérerais de derrière la caméra, position depuis laquelle je décrirais la scène. Cette pratique, de l’ordre de l’objectivation, sonne faux quelque part et se prête en outre à la mise en scène, comme je la nomme. A celle-ci je préfère la voie d’une reconstitution en mode ‘vision subjective’ (dite aussi vision à la première personne, comme dans certains jeux vidéo), me replongeant dans le ‘monde intérieur’ de ces moments, le contenu de la pelote venant plus ou moins aisément une fois que l’on a commencé à en tirer le fil. Fil complexe, constitué de multiples brins faits d’images, de sons, d’émotions, d’odeurs, de sensations. Il n’est nullement question de rechercher par là une hypothétique authenticité du souvenir, la mémoire ne se comportant pas en support passif (5) mais opérant en permanence des démontages et remontages d’éléments. C’est le cheval de l’intuition que je choisis de monter lorsque je saisis et tire ainsi de l’intérieur le fil du souvenir, monture qui bien mieux que moi sait le chemin.

La belle histoire du camion rouge
Haut-Atlas: Le récit d’une traversée, en quelques épisodes.

La belle histoire du camion rouge donc, a pour cadre, une fois de plus, les reliefs du Haut-Atlas. Cela ne doit rien au hasard, on s’en doute, ni à la réelle émotion qui me relie à ces territoires. La plongée sans « ligne de vie » dans un tel univers est faite pour cela : se rendre disponible, exposé, pour les multiples expériences à venir.

Tôt le matin, en remontant le torrent vers Taghia

Or donc, je redescendais d’une longue traversée du haut-plateau, de Zaouiat Ahansal à Tabant, via Taghia, longues journées de marche épuisante sur un territoire d’une beauté extraordinaire. Affaibli par une très méchante infection intestinale, j’avais abrégé d’une journée la traversée pour rejoindre le haut de la vallée d’Aït Bouguemez (dite, vision une peu simplette , « vallée heureuse ») où j’avais trouvé le toit et le couvert dans un gîte pour groupes, désert à cette époque de l’année. De là j’espérais pouvoir rejoindre Tabant par la piste par un moyen de transport moins épuisant que mes vieilles gambettes. Après un luxueux repas de riz blanc cuit à l’eau, délicatement accompagné de son liquide de cuisson, précédant une nuit fort moyennement réparatrice, j’entreprends de rejoindre le village, un ou deux kilomètres plus bas, en quête d’un véhicule quelconque, suivant le raisonnement élémentaire que la probabilité d’en trouver un augmenterait en bord de piste. Tout à l’heure cela avait un peu chauffé entre le proprio et moi, nous ne nous étions pas assez clairement mis d’accord sur le prix (erreur!), du coup je n’avais pas vraiment pu tenter de lui soutirer quelque information.

Le temps passe. Le temps passe toujours …

Très matinal comme d’habitude, je ne vois presque personne en longeant le village. La piste poussiéreuse rapidement rejointe, j’entreprends de la suivre durant une vingtaine de minutes, jusqu’au moment où j’aperçois trois ou quatre hommes, assis au bord, visiblement occupés à attendre quelque chose. Quoi ? Un taxi collectif sans doute ou un minibus qui les amènerait au bourg. Je tente le contact mais cette fois mes quelques mots de berbère n’y suffisent pas. Je m’écarte de quelques mètres et m’assied moi aussi. L’attente est un art auquel je commence tout juste à m’initier. Nous verrons bien …

Le temps passe. Les bruits du village proche témoignent du démarrage de la journée. Le temps passe toujours. Il me semble souvent plus discret ici qu’ailleurs, c’est à peine si on le voit passer. Je n’ai aucune idée de l’heure, plutôt tôt encore me semble-t-il, vu la fraîcheur persistante. Sur la piste toujours rien, rien que la poussière, qui s’élève parfois mollement sur un coup de brise avant de retomber quelques mètres plus loin. Je n’ai rien entendu venir mais au raidissement de mes voisins je saisis que leur attente, la mienne aussi peut-être, devrait prendre fin sous peu. Les imitant, je me relève, et c’est alors que je le vois arriver.

Ici la parole est poussière … (sur le plateau)

Quelque peu assoupi par l’attente, je suis saisi par cette vision d’un superbe camion de chantier des années cinquante, d’un rouge pétant, poudré de poussière comme une vieille maquerelle mais bien vaillant encore semble-t-il. Deux ou trois bonshommes sont déjà à bord, j’imagine que le conducteur fait le tour des hameaux avant de descendre au bourg ces hommes qui cherchent à se faire embaucher pour la journée. Mes compagnons d’attente ont sauté dans la benne ou sur le toit après avoir filé la pièce au conducteur. Je m’approche de sa vitre ouverte et, coup de chance, on arrive à se comprendre lui et moi. Le gars rejoint bien Tabant et pour deux dirhams (6) je fais partie du voyage. Le billet de transport le moins cher de mon existence.

J’ai dix ans !

Mon sac jeté par dessus bord, j’y grimpe, tiré par mes prédécesseurs. Je me laisse glisser au fond de la benne, le sac à côté de moi. Et c’est là que cela se passe … Dans la poussière dont nous profitons amplement là derrière, les grincements pathétiques des lames de ressort épuisées, les secousses qui à tout moment me décollent plus ou moins violemment les fesses de la tôle, arrive l’illumination soudaine de la date (dans ce mode d’existence le calendrier fait rarement partie de mes préoccupations premières) : nous sommes aujourd’hui le jour de mon anniversaire … Happy Birthday ! Accroché d’une main à mon sac, de l’autre au rebord de la benne, je crois bien que durant un instant j’ai souri d’une oreille à l’autre. J’ai dix ans là. Oui, j’ai dix ans et je ne peux rêver cadeau d’anniversaire plus extraordinaire qu’une longue balade sur la benne d’un beau camion rouge ! Celui-ci d’ailleurs devait avoir bien bossé déjà lorsque j’ai soufflé mes dix bougies, pour de vrai. Je me laisse couler dans cette image, qui devient sensations, passant ma main dans les cheveux ébouriffés du gamin.

Le dénominateur commun n’est pas loin

Un calme paisible m’a envahi. L’instant n’ a rien d’une béatitude néanmoins, Il me semble tout ressentir au carré : les cahots (ouïe!) les odeurs des champs qui commencent à se réchauffer, celle du crottin d’âne sur la piste, la fumée des petits feux de cuisine à la traversé d’un hameau, le vent qui s’est fait plus chaud maintenant et agace doucement la pilosité de mes avants-bras. A la dérobée, je jette un œil sur mes compagnons de route silencieux, difficile il est vrai d’échanger plus de deux ou trois mots hachés dans ces conditions. Le regard au loin bien souvent, les paupières mi-closes protégeant les yeux de la poussière, ils portent là leur vie de chaque jour, bien différente de la mienne. Et en même temps, le dénominateur commun (à nos existences) n’est pas loin, on peut presque le toucher là. Accroché d’une main à cette coque de métal rouillé, je continue à me laisser imprégner. A la joie indicible du gamin comblé vient s’ajouter une autre sensation encore. Comme si une bulle invisible s’était formée autour de mon beau camion rouge, au croisement radicalement improbable des trajectoires individuelles de ses occupants.

Étape après étape, la benne s’est remplie. Les cahots nous poussent les uns contre les autres, les coudes, les épaules, les genoux se heurtent. Mon voisin, monté à bord lors du dernier arrêt sort de sa poche une clope roulée à la diable qu’il a du confectionner en attendant le camion. Je lui tends mon briquet, échange de regards autour d’une flamme vite éteinte, bouffée de fumée, chacun retourne à ses pensées. La vallée s’élargit, nous devons être proches du bourg maintenant. Quelques minutes plus tard en effet, le camion s’arrête sur une vaste aire dégagée, un peu avant les premières maisons du bourg. C’est ici sans doute que les journaliers seront chargés à bord des pick-ups des patrons venus chercher la main d’œuvre pour les cultures qui sont dans cette large vallée d’un tout autre ordre que dans les villages de montagne : vastes champs et vergers, coopérative agricole, chambres froides de stockage, etc. La route goudronnée passe là d’ailleurs, c’est tout dire. Fin de la parenthèse onirique. Je laisse avec un soupçon de regret s’envoler dans les nuages le gamin de dix ans au visage traversé d’un beau sourire, salue mes compagnons de voyage, charge le sac sur le dos et m’éloigne lentement vers le bourg …

Hors de toute ligne droite

Un tel récit, tout ce qu’il y a de plus anecdotique, n’appelle à mes yeux aucune conclusion. De multiples expériences telles que celle-ci, petites ou non, procédant toutes du même ‘lâcher prise’ m’ont néanmoins conféré une assurance suffisante à me donner l’envie de confier, dans des situations d’une autre amplitude, les rênes à l’intuition (7) . Me laisser en quelque sorte bouleverser, hors de toute trajectoire ressemblant peu ou prou à une ligne droite. D’autres cadeaux inattendus ont succédé à celui offert au gamin aux yeux émerveillés. Ce blog ressort de la même aspiration. Lâcher prise nous enrichit.

__________

(1) « Dans son ouvrage consacré au capital humain en 1964, G. Becker le définit comme « l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. »  Chaque travailleur dispose d’un « capital » propre, constitué par ses qualités personnelles et sa formation. Comme tout actif ou patrimoine, ce capital est un stock qui peut produire des ressources, s’éroder ou croître s’il fait l’objet d’un investissement » (Rochford, L. (2016). Contrepoint – Gary Becker et la notion de capital humain. Informations sociales, 1(1), 65-65. https://doi.org/10.3917/inso.192.0065 https://doi.org/10.3917/inso.192.0065 ). Le concept qui ,depuis 1964, a remporté le succès que l’on sait se trouve néanmoins l’objet de critiques cinglantes, jusqu’au sein même des milieux du management voir p.ex. Cadet, I. (2014). La mesure du capital humain : comment évaluer un oxymore ? Du risque épistémologique à l’idéologie de la certification. Question(s) de management, 1(1), 11-32. https://doi.org/10.3917/qdm.141.0011). Au-delà des sérieuses limites explicatives que constitue l’hypothèse classique de l’économie mainstream des choix économiques portés par des individuels rationnels. D’autres auteurs mettent notamment en évidence l’instrumentalisation du concept par les classes sociales dominantes ou alliées : « En assimilant le salaire au revenu d’un capital, on légitime les revenus de la propriété, qui, par renversement, deviennent des revenus identiques au salaire. Les différences entre les types de revenus ne renvoient qu’aux choix différents effectués par les individus : certains développent leur patrimoine financier; d’autres, leur patrimoine humain. La position des propriétaires du capital est ainsi confortée. De même, et de façon plus immédiate, se trouve confortée la position de ceux qui occupent une place privilégiée dans la hiérarchie salariale. En ce sens, la théorie du capital humain pourrait être considérée comme une idéologie des classes moyennes. Certaines théories inspirées du marxisme mettaient en cause les salariés à hauts revenus en affirmant que ces hauts revenus sont des profits masqués en salaires, qu’ils sont le résultat d’une alliance passée entre les propriétaires du capital et les cadres gestionnaires de ce même capital (Establet et Beaudelot [1976]). La théorie du capital humain au contraire, en faisant des salariés à haut revenus des salariés comme les autres, qui ont seulement su mieux gérer leur patrimoine humain, légitime et conforte leur position dominante. »Poulain, É. (2001). Le capital humain, d’une conception substantielle à un modèle représentationnel. Revue économique, 1(1), 91-116. https://doi.org/10.3917/reco.521.0091 .

(2) La recherche de référence bibliographique peut s’avérer fastidieuse mais elle offre de temps à autre de petits moments de plaisir simple. Ainsi de l’adresse de ce site « Je change my life » (100 % branché, c’est certain!) ou du mode d’emploi ‘how to do’ de cet autre.

(3) Au temps t et au point p, on ne peut planifier sa route qu’au moyen de ce que l’on connaît déjà du territoire et/ou des cartes qui nous sont fournies (et qui, redite peut-être mais rappel salutaire néanmoins, ne constituent pas le territoire mais une certaine lecture et représentation de celui-ci, réalisée dans une certaine intention par des personnes ou institutions). Du point p et au temps t on ne peut dès lors imaginer le territoire de l’existence à parcourir qu’au travers d’une lucarne étroite. On n’en tirera jamais qu’un plan de vie limité aux chemins parcourus par tant d’autres, on fera halte dans les auberges dûment certifiées et, surtout, on s’interdira de sortir du sac la machette ou la houe pour tracer, dans le sang et la sueur si nécessaire, son propre chemin. Il est navrant de croiser tant de parents anxieux de choisir pour leur enfant la bonne école qui les armera des diplômes et réseaux adéquats dans la dure compétition de l’existence. Combien de jeunes plongés dès l’adolescence, voire bien plus tôt encore, dans le moule comme plomb fondu ?

(4) D’où l’intérêt du partage de ces pages, entre autres.

(5) de type mémoire magnétique

(6) unité monétaire marocaine (1 dirham représente environ 0,1 euro)

(7) Intuition, conscience, rationalité, contrôle … tout cela ferait une matière bien intéressante pour un futur article




Apocalypse now ?

A mesure que s’imposent, presque jusqu’au dernier des malvoyants, les évidences des crises écologiques et donc tout autant sociales et économiques dans lesquelles nous avons commencé à bien nous engluer déjà, nous sommes invités, après avoir fait preuve de lucidité tardive, à formater notre vision du lendemain (et donc ipso facto celle d’aujourd’hui tout autant) à l’image du collapsus, de l’effondrement civilisationnel. Chaque époque a peut-être droit à son fantasme eschatologique (1). A reconnaître également, les yeux humblement baissés, notre responsabilité collective d’espèce humaine dans le désastre en cours, plus encore si vous êtes l’un de ces fucking boomers. A nous préparer enfin à l’au-delà car, s’il n’y a plus de perspective de vie (heureuse) ici-bas, dans le monde difficile d’aujourd’hui, soyons certains que l’apocalypse se chargera de nous nettoyer tout cela, après que nous ayons bien sûr affronté l’inévitable catharsis (punition pour nos péchés) de la crise. Ce dur cap passé, nous jouirions d’un monde pur, débarrassé des multiples casseroles cabossées qu’il traîne derrière lui. Amen.

‘Amen’ parce que tout cela dégage à mes yeux, à mes narines plutôt, des effluves marquées de religiosité. C’est bien une croyance révélée, que nous sommes invités à partager? Cela sent les histoires que l’on raconte le soir aux bobos pour qu’ils dorment tranquilles et surtout continuent à bien se tenir et à consommer (bio et local, of course). Et ça fonctionne, tant est impérieux, incontournable, le besoin de nous raconter des histoires. La société humaine ne peut fonctionner qu’en mettant nos vies en histoires. Le récit officiel a du plomb dans l’aile ? (celui qui parle de progrès, de croissance, de l’humain sublime sommet de la création, et tout ça), qu’à cela ne tienne, voici venir le nouveau récit, celui dont nous avions besoin, celui qui va nous réunir tous ensemble sur le même bateau.

Ce que nous devons penser est écrit. On a même songé à notre désespoir face aux temps cruels qui s’annoncent (et qui ont déjà bien commencé pour certains). Infatigable commercial du concept Collapsus (on aurait bien envie d’y ajouter un ®), le télégénique Pablo SERVIGNE nous explique en effet comment vivre l’apocalypse comme un ‘happy collapse’ (2). Le discours se découvrant des affinités avec les méandres du système, il est en train de passer du statut de challenger à la plus haute marche du podium. En quelques années notre mythe social s’est ainsi prestement adapté à la nouvelle donne et maintient inchangée la structure.

Je pourrais en rester là, j’aurais écrit ce que l’on nomme ‘un billet d’humeur’, avant de passer à autre chose. Et c’est ici que le lecteur superficiel ou impatient, coutumier des analyses à l’emporte-pièce pratiquées par les éditorialistes à la télé, va nous lâcher. L’occasion me paraît belle en effet de rentrer dans les détails du discours social en cours d’adaptation afin de tenter de cerner au mieux ce qui se planque derrière, à quoi (qui) servent tous ces beaux mots. Mais aussi ce que nous pourrions en apprendre sur notre humanité …

Les limites de la concentration étant ce qu’elles sont, j’ai choisi de diviser cet article assez copieux en deux parties. Nous débuterons ici en confirmant que nous ne faisons pas de science-fiction, que le processus a bien démarré. Puis nous réglerons le sort des concepts fumigènes de Développement Durable et de Transition. Nous verrons ensuite comment la structure sociale se montre particulièrement exposée. Nous constaterons également l’incurie de l’universel solutionnisme technologique, seule piste officiellement en lice pourtant. Nous ferons enfin le constat de l’inimaginable solidarité sociale au cours de la catastrophe. Dans un second article, nous chercherons quels sont les mots qui nous enferment et quels sont ceux qui nous permettent d’aborder la problématique de manière ouverte et autonome. Les différents pièges une fois démontés, il nous restera à ouvrir les yeux sans ciller …

La
catastrophe est en cours

Nous y sommes, il ne faut pas se leurrer. C’est une erreur de s’imaginer que ce concept de catastrophe nous projette dans le futur. Une grave erreur de perspective, rédhibitoire, qui, en nous voilant les enjeux et processus à l’œuvre, éloigne par là-même toute perspective d’intervention pertinente. Au contraire, ‘Apocalypse now’, en insistant sur le second terme. La catastrophe est en cours, seule notre position au milieu du courant nous empêche de voir le torrent qui nous emporte de plus en plus vite.

Crédit: wikimedia commons
(cliquer pour agrandir)

Les causes principales en sont connues : changement climatique (dont l’origine anthropique fait la quasi unanimité chez les scientifiques depuis un moment déjà), perte dramatique de bio-diversité, raréfaction des ressources (hydrocarbures, minerais, terres rares, etc). Ces causes exercent aujourd’hui déjà bien des effets délétères sur l’écosystème. Ces effets à la fois pèsent de manière sensible sur les conditions d’une vie humaine autonome, nous allons le voir de suite, mais ils suscitent également un retour sur les facteurs déterminants. Ainsi, par exemple, le dépassement du pic pétrolier détermine la recherche de nouvelles ressources comme les sables bitumineux, dont l’exploitation déclenchera de nouveaux effets sur l’eau, la bio-diversité et le changement climatique (émission de méthane). Ces dernières années permettent à chacun de constater l’augmentation de la température moyenne, c’est quelque chose de palpable. Mais ce que nous ne palpons pas, ou très peu encore, ce sont les effets indirects sur le cycle de l’eau, la propagation des maladies, les conflits armés (3), ou la production agricole. Ils sont là néanmoins. Sans oublier à quel point les images surmédiatisées du koala et de la forêt en feu ou de l’ours blanc et de l’iceberg occultent d’autres réalités et nuisent à une compréhension de la situation et des enjeux.

Comme souvent, les inégalités géographiques sont prégnantes. Certaines régions du monde sont déjà fortement impactées et, au-delà de cela, la vie quotidienne de centaines de millions de personnes aujourd’hui ressemble à s’y méprendre aux craintes qu’affichent les collapsos pour leur avenir de petits bourgeois occidentaux: ni médecin, ni sécurité alimentaire, confort domestique rudimentaire (pas de chauffage, pas d’eau courante ni d’électricité ni de toilettes ni de combustible fossile à prix accessible)(4). Ceci étant dit, si à nos portes nous ne voyons pas (encore) aujourd’hui d’inondations à grande échelle ni le déplacement massif de populations par centaines de milliers d’individus ou la perte de vastes territoires agricoles , nous ne pouvons ignorer la manière dont nous sommes déjà, ici et aujourd’hui, soumis au régime de la catastrophe. Plutôt que d’embarquer dans l’aventure futurologique, puisque les premiers coups de bélier résonnent sur nos portes, observons comment nous réagissons en tant que groupes humains. Nous devrions en retirer des indications utiles sur la direction que prend la pente …

Il me faut d’abord lever le lièvre de la transition (pour ensuite le tirer sans pitié, désolé!).

Mais il me faut d’abord lever le lièvre de la transition (pour ensuite le tirer sans pitié, désolé pour les âmes sensibles !). La Transition écologique (la majuscule n’est pas exagérée pour ce sésame de la novlangue), un concept télégénique et bien utile pour régler le problème. Faire la nique à la catastrophe et permettre à ceux qui en ont encore les moyens de continuer à plus ou moins bien vivre plus ou moins en paix pendant plus ou moins longtemps. Désolé pour l’approximation de tous ces ‘plus ou moins’, mais ces mots fourre-tout n’ont pas été créés pour la clarté de la compréhension, c’est juste pour la com. N’en demandons pas trop non plus au terme de ‘Transition’, qui récemment a remplacé le tout aussi creux ‘Développement Durable’, lequel commençait un peu à faire bibelot inutile qui prend la poussière sur un meuble. Coulés dans le moule de nos institutions, comme le Commissariat Général au Développement Durable (créé en 2008), lequel a d’ailleurs publié en 2015 une « Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (SNTEDD) », dont on a pu mesurer les effets en termes de profondes transformations de notre modèle économique et social (5), les deux concepts sont assurés de ne pas faire trop de vagues. Et quand bien même ces deux concepts ne seraient pas totalement creux, il est bien trop tard pour ce type de rustines, depuis le temps qu’ils sont de tous les discours ! (6).

Si la définition du concept n’est pas très claire, son utilité socio-politique en revanche l’est parfaitement et nous servira en fait à le définir pragmatiquement. La Transition c’est l’ensemble des dispositifs établis pour que se maintienne en place, mutatis mutandis, la croissance économique (découplée de la croissance de l’exploitation des ressources par le miracle de la démultiplication des pains) ainsi que le système de drainage qui va avec, collectant et dirigeant la majorité des richesses ainsi produites vers les poches de quelques uns . Maintenir le système en place malgré les coups de boutoirs climatiques et autres, tel est le challenge. Et on doit constater que cela fonctionne plutôt bien puisque, malgré tous les appels de scientifiques ou de personnes publiques, les multiples pétitions et actions en justice (7), les centaines de milliers de marches et manifestations de par le monde, les conventions (citoyennes ou non), les rapports du GIEC, les alertes lancées par les ONG et centres d’étude de tous poils, les admonestations de Greta, les grand-messes internationales, les préoccupations sincères de la Ministre relativement aux cotons tiges en plastique, malgré tout cela donc, et bien rien n’a fondamentalement changé. Rien en tout cas de l’ordre du minimum nécessaire à faire dévier significativement la trajectoire catastrophique. On conviendra qu’il n’est guère excitant d’utiliser un terme qui dès la naissance porte une si belle brassière de faux-cul. Mais ce n’est pas là que réside la raison ultime de mon rejet du terme. La raison c’est qu’aucune transition ne sauvera rien du tout si ce n’est peut-être quelques patrimoines privilégiés (et tout ce qui va avec bien entendu). Il n’y a rien à transitionner en fait, rien n’est à préserver. Ce sont les structures profondes de la société qui doivent se transformer face aux défis que nous affrontons, et non un certain nombre de modalités pratiques, généralement d’ordre technologique d’ailleurs. Sans parler de la structure profonde de l’humain lui-même, question qui sera peut-être abordée plus loin (en seconde partie).

Il conviendrait sans doute dès lors de parler de bifurcation plutôt que de transition. Mais des carrefours nous en avons déjà manqués un certain nombre, à foncer sans fin droit devant. Et plus nous allons plus le passage se fait étroit …

Les premières manifestations de la catastrophe en cours impactent fortement la structure sociale

L’observation qui de prime abord s’impose, c’est celle de la grande sensibilité du sociétal. Les premières manifestations de la catastrophe en cours impactent fortement la structure sociale et son fonctionnement, même lorsqu’elles n’ont au départ guère d’influence directe sur ceux-ci. Ainsi la Covid19, affection virale dont l’origine est liée comme tant d’autres à la pression en forte croissance exercée par l’humanité sur les écosystèmes , si elle impacte considérablement notre organisation sociale durant les épisodes pandémiques, modifie également celle-ci en profondeur sur le moyen terme : montée en nuisance, euh en puissance pardon, des plateformes de commerce en ligne, disparition d’activités sociales (dont on a récemment appris avec intérêt le caractère ‘non essentiel’), modification des pratiques dans l’enseignement ou les entreprises, etc. Mais s’allonge également la liste des effets socio-économiques : mise en grande difficulté des étudiant(e)s issu(e)s de milieux modestes, paupérisation croissante de la population, accentuation des disparités patrimoniales, fragilisation des services publics, etc. (8).

Le niveau sociétal est également directement impacté par le solutionnisme technologique, que j’évoquerai un peu plus loin. Dans l’exemple traité ici de la pandémie en cours, il s’agit plus particulièrement de son volet sécurisation et contrôle ou restriction des comportements : surveillance par caméras et drones du respect des ‘consignes sanitaires’, applications pour ordiphones (9), attestations de déplacement, etc. En attendant probablement le passeport sanitaire électronique et les restrictions d’accès à des services ou bâtiments publics pour les personnes qui ne seraient pas vaccinées. La substitution actuelle de nombreux échanges physiques (en présentiel, dans la novlangue) par des échanges virtuels (en distanciel) augmente la dépendance à un interface technologique qui nous était déjà plus ou moins imposé jusque là et face auquel les inégalités sont criantes (illectronisme d’une partie significative de la population, disparités sociales et géographiques dans l’accès à un matériel coûteux et/ou la maîtrise d’un langage et de codes communicationnels spécifiques, etc). Voilà, entre autres, ce que ce coup de bélier sanitaire nous apprend sur la grande sensibilité de notre vivre ensemble aux premières manifestations de la catastrophe.

Dans un registre bien différent, mais toujours dans une relecture d’épiphénomènes actuels, rappelons-nous que la naissance du ‘mouvement’ social des ‘gilets jaunes’ à l’automne 2018, est historiquement liée à un projet d’augmentation des taxes sur le gasoil, s’inscrivant – dans le discours gouvernemental en tout cas – dans la lutte contre le réchauffement climatique (TICPE). Elle montre à l’évidence le caractère inégalitaire des mesures libérales de réaction à la catastrophe en cours et comment celles-ci accentuent considérablement les fractures de l’édifice social.

Le chevalier blanc du solutionnisme technologique ou quand la réponse ajoute encore un problème au problème

A une refondation ambitieuse d’une politique, basée sur une analyse approfondie de la complexité d’une problématique, on préférera toujours la solution ‘ad hoc’, soit technologique (tirée du chapeau hautement intéressé des entreprises spécialisées qui n’entretiennent pas pour rien un contingent de lobbyistes et de think tanks) soit législative (spécialité française: un problème = une loi, d’où un mikado de textes), soit enfin une délicieuse articulation des deux niveaux. C’est la bonne vieille méthode de l’emplâtre sur la jambe de bois. Ça ne mange pas de pain, ça occupe les médias et les conversations à la machine à café, ça permet de gagner du temps et de placer ses pions.

Ce que nous nous voyons proposer / imposer aujourd’hui ce sont des solutions technologiques et même, dans la plupart des cas, des solutions technologiques ‘end of the pipe’. Une emplâtre ‘high tech’, qui s’intègre donc harmonieusement au grand récit du progrès (avant on disait ‘technique’, maintenant on dit ‘technologique’) comme à celui d’une société ‘starteupeuse’. Les gestionnaires aux commandes ont pour fonction de maximaliser les retours sur investissements et, quand on rencontre un problème, on le vire de la route en faisant appel à des techniciens de haut vol, hyper pointus, qui sont, ça tombe bien, formés à résoudre les problèmes qu’on leur présente. Si possible en les regardant en tenant à l’envers la lorgnette parce que le bidule-machin qu’ils vont créer (xième algorithme, chimère génétique, création nanotechnologique, etc) lui ne ‘fonctionne’ évidemment que dans un univers simplifié (ce qui d’ailleurs signifie bien souvent inhumain). Et c’est ainsi que l’on se retrouve avec des solutions qui s’attaquent à une problématique en s’adressant à ses symptômes les plus manifestes, ou à ceux que l’on a choisi de retenir, parfois dans la plus grande opacité, ignorant ses racines et la complexité qui la sous-tend.

Qui plus est, toute problématique étant par nature mouvante, la solution qui s’adresse à certaines de ses manifestations aujourd’hui se trouvera dès demain dépassée, voire contre-productive. Le principe qui consiste à tout changer (des épiphénomènes) pour que rien ne change (dans les prises d’intérêts des classes dominantes) non seulement nous fait perdre un temps précieux (et dans cette mesure restreint peu à peu l’éventail des choix qui s’offrent à nous) mais surtout nous pousse plus loin encore dans une voie qui chaque jour se révèle plus inquiétante. C’est ce principe, nous ne pouvons que le constater, qui est à l’ouvrage aujourd’hui dans ces premiers temps de la catastrophe. Et il n’y a aucune raison pour que cela change.

Affiche des blessés – Gilets Jaunes – janvier 2019 (source: Reporterre)

S’il est un domaine où ce cette règle s’applique à l’évidence, c’est celui du contrôle social. Le constat (documenté plus haut) de la grande sensibilité du système social aux changements en cours n’est évidemment pas une invention de l’auteur de ces lignes. D’autres l’ont bien perçu et en ont tiré les conclusions. Il n’est que de voir comment en quelques années s’est développé l’arsenal des dispositifs de surveillance et de contrôle social (10) , les moyens matériels et humains mis à disposition des ‘forces de l’ordre’, les dispositions législatives, last but not least, qu’elles soient relatives au fichage des citoyens n’ayant commis aucun délit, à la liberté d’information, d’expression ou de manifestation, à la censure sur les réseaux sociaux, au traitement judiciaire, etc. C’est bien d’un renforcement par l’État des dispositifs coercitifs destinés au maintien de l’ordre social existant qu’il s’agit. Dans cette stratégie, celui-ci révèle son rôle essentiel, qu’il n’est pas prêt à abandonner, contrairement à d’autres, moins régaliens sans doute. C’est dans cet élément de contexte qu’interviendront les étapes à venir de la catastrophe.

Les technologies de contrôle social que nous connaissons aujourd’hui dans nos régimes ‘démocratiques’ et que j’évoquais plus haut en sont encore à un stade limité, non tant du fait d’une incapacité technologique qu’en raison de la problématique de leur acceptabilité. Ayant connu un développement à vitesse exponentielle au cours des dernières années, les technologies de surveillance, reconnaissance faciale en tête, sont aujourd’hui couplées à la technologie de l’intelligence artificielle, s’appuyant elle-même sur le développement hallucinant des capacités de stockage de données. Les horribles rejetons de cette hybridation sont déjà à voir, pas sur notre sol, mais en Chine. La technologie du contrôle social qui y est mise en œuvre renvoie aux amusettes de jardin d’enfant les fantasmes panoptiques d’un Estrosi (11). Ouf, nous ne vivons pas en Chine, dira-t-on. Bravo d’abord de tant de compassion pour le peuple chinois. Et, surtout, nous en reparlerons très bientôt, une fois que les coups de boutoir répétés que nous entendons déjà ébranler les portes de notre précaire édifice social auront fait tomber les derniers masques. La peur, l’arme numéro un des gouvernements, suscitée, amplifiée, hystérisée par les médias, comble à toute vitesse le fossé de l’acceptabilité, voire de la désirabilité de ces technologies. Et pour le reste on impose, pourquoi se gêner puisque de toute façon les réactions sont si faibles ? Voilà les dispositifs qui se mettent en place aujourd’hui alors que nous glissons dans la catastrophe.

La sécession des riches

Rien de tel pour accroître la cohésion d’un groupe social que de lui trouver un ennemi commun. Nous verrons plus loin que cette règle ne s’applique guère en l’espèce, en tout cas pour les possédants. Alors que l’on peut à de nombreux égards considérer que ceux-ci portent plus que d’autres la responsabilité de la situation, il apparaît que nombre d’entre eux appliquent l’éternel ‘business as usual’ (12) et que se mettent en place les conditions d’une sécession quasiment physique de la part de celles et ceux qui, sans doute, doivent faire le calcul que les biens et le pouvoir dont ils disposent les mettront à l’abri des conséquences de la catastrophe (13). Nous examinerons plus loin cette question, sous le titre ‘Tous sur le même bateau ?’ (dans la seconde partie de la présente disputaison). Il est certain en tout cas que la catastrophe n’a pas débuté sous le signe de la solidarité générale …

Et quand le monde des entreprises transnationales nous annonce ‘La Grande Réinitialisation‘, un objectif concerté, en toute opacité, mélangeant allègrement institutions transnationales, fonds d’investissement, politiciens nationaux et des organisations privées comme le Forum Économique Mondial, d’où toute notion de création collective est évidemment absente, c’est qu’ils ont des projets pour nous … cela n’a rien de rassurant ! (14). En cette période de peur du lendemain et d’invisibilité du sur-lendemain, où chacun se retrouve privé du collectif, nous sommes plus malléables. Et ils le savent.

Nous avons vu que la catastrophe exerce déjà ses effets aujourd’hui. Nous avons observé comment les réajustements industriels, financiers, politiques et sociétaux en cours nous offraient une grille de compréhension pour appréhender la suite de celle-ci : éclatement du système social, précarisation croissante, glissement de l’État vers l’autoritarisme et la répression, intégration de plus en plus marquée des existences dans le système technologique, diffusion accélérée des technologies de surveillance, contrôle et coercition et enfin séparatisme des classes dominantes. Mais dans cette tentative de comprendre ce qui est à l’œuvre, il nous faut encore nous efforcer de saisir au plus près ce concept de changement catastrophique. C’est ce que je m’efforce de faire dans la seconde partie de cet article.

__________

(1) Il y a quarante ans, en construisant le nid familial, l’auteur s’était très sérieusement interrogé sur l’opportunité d’y aménager un abri anti-atomique (c’était l’époque de la crise des euromissiles). Diverses fin du monde sont possibles

(2) P. Servigne, R. Stevens et G. Chapelle, Une autre fin du monde est possible, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), éd. Seuil, coll. Anthropocène, 2018.

(3) Welzer Harald. 2009 (2008). Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXI e siècle.

(4) En 2017, plus de 2 milliards de personnes n’avaient pas accès à l’eau potable à la maison, plus du double ne disposait pas d’un dispositif d’assainissement fiable (source OMS).

(5) Ironie, hélas … mais aussi ‘reductio ad absurdum’, tant est patente l’inefficacité de ces concepts et plus encore des ‘machins’ institutionnels (souvent onéreux) élaborés sur ces bases.

(6) Auteur d’un des tous premiers cris d’alerte (1972) sur la trajectoire folle que nous avions commencé à suivre (The Limits to Growth), Denis MEADOWS, affirmait en 2015, « Il est trop tard pour le développement durable » (In Sinaï Agnès. Penser la décroissance. Politiques de l’anthropocène. Paris : Presses de sciences-Po. 195-210).

(7) Notable exception, aboutissement de la démarche menée par quatre associations, soutenues par une pétition ayant rassemblé 2.3 millions de signatures , l’Affaire du Siècle, dont on attend avec intérêt un aboutissement concret. Mise à jour 04.02.21: la plainte déposé au Tribunal Administratif a (très partiellement) abouti. Plus d’informations ici.

(8) https://onpes.gouv.fr/

(9) Si je refuse l’appellation de ‘smartphone’, ce n’est pas pour des raisons de conservatisme linguistique mais parce que le terme trompeur de ‘téléphone intelligent’ (smartphone) cache la réalité d’un objet qui est plutôt un ordinateur (très marginalement maîtrisé par son utilisateur) qui permet également de téléphoner.

(10) https://technopolice.fr/ ou https://www.laquadrature.net/surveillance/ Observation beaucoup plus anecdotique, en visionnant il y a peu le documentaire de C. ROUAUD, « Tous au Larzac », je ne pouvais m’empêcher de trouver presque attendrissants les policiers et gendarmes des années soixante-dix, aussi éloignés des robocops actuels et de leurs tactiques guerrières que mon potager l’est d’un champs brésilien de soja OGM.

(11) Maire de la ville de Nice, championne nationale en la matière

(12) La fonte de la banquise ? Belle opportunité: on peut y organiser des croisières de luxe ou prospecter de nouveaux gisements. Un million de Français viennent de basculer sous le seuil de pauvreté ? Super, on va leur développer des gammes (vêtements, alimentation) encore plus cheap ou mettre sur le marché des produits bancaires spécifiques. Un petit profit multiplié par un million de pauvres, ça fait beaucoup d’argent !

(13) Par exemple: https://escapethecity.life/bunkers-de-luxe-super-riches-et-effondrement ou https://www.courrierinternational.com/article/enquete-la-nouvelle-zelande-ultime-refuge-des-ultra-riches

(14) Il est trop facile de crier au conspirationnisme ! D’autant que, ici comme c’est de plus en plus le cas, ils ne prennent pas la peine de cacher leurs intentions.